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Le blog d’une Scop d’informatique qui trace sa route entre réussite économique et valeurs coopératives.

Les réserves impartageables, une richesse collective qui protège l’entreprise de la spéculation

Par Laurence Ruffin, PDG d'Alma

Dans le cadre de la récente Assemblée Générale d’Ardelaine, une Scop ardéchoise emblématique qui a remis sur pied tout un secteur de valorisation de la laine, Jean-François Draperi[1] a revisité la force de certains concepts coopératifs. Je m’arrêterai sur les réserves impartageables, un terme essentiel qui traduit l'engagement de la Scop pour l’intérêt général.

Un mécanisme unique destiné à pérenniser l’entreprise

En moyenne dans les Scop, 40 % du résultat n’est pas distribué et est laissé dans l’entreprise pour renforcer ses fonds propres. Cet argent s’accumule année après année et constitue les réserves. Leur particularité dans une Scop (comme d’ailleurs dans une association ou une mutuelle) est qu’elles n’appartiennent à personne. C’est un bien collectif dont bénéficieront tous les associés présents et futurs, puisqu’il permet d’assurer la pérennité de l’entreprise. C’est pourquoi on parle de réserves impartageables, pour bien signifier que cet argent ne sera jamais partagé entre les associés. Ainsi quand un associé se retire, il récupère uniquement la valeur nominale (la valeur d’acquisition) de ses parts sociales. Il n’y a pas de plus-value. Et même si la Scop est dissoute, ses richesses sont attribuées à une autre Scop ou à des œuvres d’intérêt général.

L’alternative au « tout actionnaire »

Dans une société de droit commun, les associés apportent du capital en échange d’un droit sur la totalité des profits. Or même le plus gros gérant d’actifs au monde, Blackrock, appelle les sociétés à davantage investir plutôt qu’à verser trop de dividendes, et à résister à la pression de « la prolifération des actionnaires activistes qui cherchent un rendement immédiat […] ». La France a été qualifiée de « championne européenne des dividendes versés aux actionnaires » en 2015[2]. Alors que dans une Scop, la moyenne versée en rémunération du capital est de 13 % et cette part est plafonnée : elle ne peut pas être supérieure à ce qu’on distribue aux salariés ou à ce qu’on laisse en réserves.

Par ailleurs, les réserves formées dans une entreprise appartiennent intégralement aux actionnaires de celle-ci : elles seront distribuées plus tard ou revaloriseront les actions d’autant. Les sociétés sont revendues avec des plus-values qui dépassent souvent très largement leur valeur économique, ce qui – sans parler des considérations éthiques – peut les mettre en danger. Et je ne suis pas la seule à le dire  : selon une étude de 2008 réalisée par le Forum Economique Mondial de Davos et des universitaires, « un quart des salariés sous LBO[3] voient leur unité de travail fermée, vendue ou restructurée. Un taux deux fois plus élevé que dans une entreprise « normale » ».

Une vision et un statut qui changent tout !

Les réserves sont loin d’être anecdotiques dans les coopératives qui ont plusieurs années d’existence. Elles représentent plus de 9 M€ pour Alma (soit plus de 50 % de nos fonds propres). Et cela a plusieurs vertus : permettre à l’entreprise d’investir, de lancer de nouvelles aventures ou de passer des coups durs. Les réserves offrent à la société une indépendance financière et facilitent sa transmission. Une Scop poursuit ainsi un projet économique à moyen et à long terme, non un projet financier. Et si bien d’autres PME partagent heureusement cette philosophie, le statut de Scop a l’avantage d’ancrer ce principe au-delà de la volonté du créateur ou du dirigeant. C’est un garde-fou qui place l’entreprise « au-dessus », quoiqu’il arrive.

Ces réserves impartageables font aussi qu’une Scop ne peut être ni vendue, ni délocalisée. Si on m’appelle souvent pour acheter Alma (en particulier des fonds d’investissement), le statut nous protège de la tentation s’il y en avait : c’est juste impossible !

[1] Maître de conférences en sociologie, directeur du Centre d’Economie Sociale Travail et Société (CESTES) au CNAM et rédacteur en chef de la Revue internationale de l’économie sociale (Recma).
[2] Selon l’étude de Henderson Global Investors.
[3] LBO pour Leverage Buy-Out : une technique financière qui consiste à racheter une entreprise via un endettement.
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