Le blog d’une Scop d’informatique qui trace sa route entre réussite économique et valeurs coopératives.

La Scop Alma et le partage de la valeur : une vision coopérative de l’économie

« No Alternative ? Pleins feux sur la planète ESS », c’est le titre du Cahier de tendances de la Fondation Jean-Jaurès coordonné par Timothée Duverger et Thierry Germain qui a été présenté en avant-première au forum mondial de l’ESS à Bordeaux fin octobre 2025. Cet ouvrage regroupe de nombreuses contributions qui témoignent d’idées et d’actions menées sur les cinq continents pour produire, partager, protéger ou innover autrement, au service de l’humain comme de la planète. Parmi celles-ci, un article écrit par la Présidente d’Alma Laurence Ruffin sur le partage de la valeur dans notre Scop, que nous publions ici avec l’aimable autorisation des coordinateurs de ce Cahier de tendances.

Issue de l’université et constituée en Scop depuis sa création, Alma est aujourd’hui un groupe de 180 personnes impliqué dans plusieurs métiers du numérique : édition de logiciels industriels CFAO (secteur dans lequel Alma figure parmi les leaders mondiaux), logiciels santé, services numériques.

Le projet d’Alma repose sur une idée forte : la citoyenneté économique. Cette vision se concrétise par une gouvernance démocratique – chaque salarié·e est associé·e et dispose d’une voix – et un partage équitable de la valeur créée. Les deux vont de pair : c’est parce que les salarié·es détiennent collectivement le pouvoir de décision qu’ils ou elles peuvent choisir, ensemble, comment répartir les fruits de leur travail.

Un partage équitable de la valeur créée

La répartition du résultat dans une Scop poursuit un double objectif : d’une part, privilégier celles et ceux qui ont contribué à produire cette richesse avec équité et, d’autre part, préparer l’avenir en laissant un montant significatif dans l’entreprise. Dans les Scop, nous sommes dans la recherche permanente d’un équilibre entre la valorisation du travail (en moyenne 43 % du résultat) et la pérennité de l’entreprise via les réserves (45 %), qui prévalent sur la rémunération du capital (12 %).

Une entreprise durable grâce aux réserves impartageables

Ce choix structurel de répartition permet à Alma d’avoir plus de 15 millions d’euros de réserves, gage de solidité et de résilience. Elle peut ainsi investir significativement en recherche et développement (plus de 20 % de son chiffre d’affaires), créer des filiales pour exporter dans une dizaine de pays, lancer une nouvelle activité dans le secteur de la santé pour se diversifier et contribuer à sa pérennité…

Par ailleurs, ces réserves sont légalement impartageables, elles ne sont pas distribuables aux associé·es. Pas de revente de l’entreprise, de spéculation ou de délocalisation possible. Alma, par exemple, est aujourd’hui le seul acteur majeur de logiciels CFAO au niveau mondial non détenu par un fonds d’investissement ou un groupe, ce qui lui permet de maîtriser sa stratégie, de préserver ses savoir-faire et ses emplois localement.

Enfin, le capital y est vu comme une ressource au service du projet, dont le rendement est modéré. Chez Alma, nous n’affectons ainsi que 10 % de notre résultat aux associé·es.

Une politique de rémunération basée sur l’équité et la redistribution

Chez Alma, 60 % du résultat est distribué aux salarié·es (soit environ cinq mois de salaire). Une part significative du revenu est liée à la réussite collective de l’entreprise, ce qui crée un cercle vertueux : cela renforce la cohésion, aligne les intérêts et encourage une logique de co-entrepreneuriat.

Mais le partage de la valeur ne se limite pas à la redistribution des bénéfices. Il irrigue toute notre politique salariale. Alma a adopté un écart de rémunération volontairement resserré : le rapport entre le plus haut et le plus bas revenu est de 2,5 et le salaire minimum y est deux fois supérieur au Smic. Nous valorisons peu les avantages individuels, les primes sont réparties de manière homogène. C’est un principe structurant auquel l’ensemble des Almatien·nes est attaché et qui permet à chacun·e d’être rémunéré·e justement.

Vous avez dit scopettes ?

Alma est organisée en « scopettes », des équipes opérationnelles composées de 10 à 40 personnes, centrées sur un métier ou une activité. Les scopettes sont dotées d’un compte de résultat propre et d’une certaine autonomie quant à leur gestion courante. Il s’agit également de rapprocher les coopérateurs·rices des décisions et de favoriser les échanges au sein d’équipes de taille réduite. Pour maintenir l’équité entre les scopettes, seuls 15 % des résultats sont directement reversés : le reste est mutualisé pour financer des investissements communs. Ce partage décentralisé de la valeur illustre la façon dont nous conjuguons responsabilité locale et solidarité globale. La même logique s’applique à nos filiales – en France et à l’étranger – qui, bien qu’elles ne soient pas toutes des coopératives, s’inspirent des pratiques d’Alma : aucune remontée de dividendes à la maison-mère, mais un soutien à leur développement local.

Indicateurs de citoyenneté économique

Alma s’attache à incarner la citoyenneté économique, portée avec le mouvement coopératif. Le partage de la valeur est ainsi l’un des quatre piliers, aux côtés de la gouvernance démocratique, de l’émancipation des personnes et de la contribution sociale, environnementale et territoriale. Depuis cinq ans, nous avons défini une trentaine d’indicateurs explicites visant à mesurer notre engagement sur ces quatre axes et pour rendre cette vision tangible en interne comme en externe.

À titre d’exemple, ont notamment été retenus le taux de sociétariat (100 % après un an), de présence en assemblée générale (92 %) pour la vie démocratique ; le chiffre d’affaires réinvesti en recherche et développement (22 %) ou l’écart de revenu (2,5) pour la pérennité et le partage des richesses ; le taux de fidélisation (89 %), le nombre d’Alma-tien·nes formé·es dans l’année (44 %) ou le bien-être exprimé (86 %) pour l’épanouissement ; enfin, la création d’emplois (9 emplois et 9 apprenti·es et stagiaires), le taux d’onshore (100 %), le nombre d’entreprises soutenues (12), la surface d’espaces verts par personne (85 m2) ou l’impact Carbone Scope 1 et 2 (58 tonnes, -13 % par rapport à 2023) pour la contribution citoyenne.

Construction collective

Cette culture du partage est profondément enracinée. Elle est transparente dès le recrutement : chez Alma, on ne vient pas pour « faire un coup », pour s’enrichir, mais pour construire collectivement et vivre décemment de son travail. L’équilibre entre rémunération individuelle, mise en réserves et investissement fait régulièrement l’objet de discussions ouvertes.

À l’échelle du pays, Alma n’est pas une exception. Une enquête OpinionWay a montré que seul·es 44 % des salarié·es français·es estimaient que leur entreprise répartit équitablement la richesse produite ; ce chiffre grimpe à 92 % chez les salarié·es de Scop et de Scic[1]. Le modèle coopératif, en faisant du partage une réalité vécue, offre une réponse aux attentes des salarié·es. Et allier robustesse et équité, ça marche. Le taux de pérennité des entreprises coopératives est 15 points de pourcentage plus élevé que les autres. Alma a été classée F1+ par la Banque de France.

Nous sommes convaincu·es que cette logique devrait s’étendre bien au-delà du monde coopératif, pour améliorer le bien-vivre des salarié·es, soutenir la pérennité des entreprises et de notre économie, et contribuer à une démocratie apaisée.


[1] Étude OpinionWay pour le service études de la Confédération générale des Scop et des Scic, 2014.


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